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Perspectives 03-12-2020

8 min read

L’avenir neutre en carbone est électrique

Dans ce numéro de Perspective, M. Gerhard Salge, Chef principal de la technologie chez Hitachi ABB Réseaux électriques, explique pourquoi l’électricité sera au cœur d’un système énergétique neutre en carbone. Il affirme que l’électrification à l’échelle mondiale ne peut fonctionner qu’avec un système de puissance beaucoup plus flexible et interconnecté, favorisé par des conditions propices.

L’électricité sera l’épine dorsale du système énergétique dans son intégralité

L’électricité a amélioré notre niveau de vie depuis son invention il y a de cela plus de deux cents ans. Mais les changements qu’entraînera l’électrification plus poussée au nom de la durabilité au cours des 30 prochaines années iront au-delà de tout ce que nous avons vu jusqu’à présent. Une analyse comparant plusieurs études récentes sur l’évolution de l’ensemble des systèmes énergétiques du monde indique que la consommation mondiale d’électricité fera plus que doubler, passant de 20 % (aujourd’hui) à plus de 40 % de la demande énergétique totale d’ici 2050. Et certaines régions du monde iront bien au-delà de ce niveau d’électrification.

Les prévisions aboutissent toutes à la même conclusion : le monde neutre en carbone est électrique.

Trois éléments sont réunis pour assurer un avenir électrique neutre en carbone : la connexion de plus gros volumes d’énergie éolienne, solaire et hydroélectrique aux réseaux, l’électrification des secteurs des transports, de la construction et l’entretien des immeubles et des procédés industriels partout dans le monde et, lorsque l’électrification directe n’est pas efficace ou possible, l’introduction de sources d’énergie complémentaires et durables, comme l’hydrogène vert. 

Ensemble, ces éléments formeront les bases sur lesquelles l’électricité deviendra l’épine dorsale de tout le système énergétique et à partir desquelles les sociétés durables pourront évoluer.

Le moyen le plus efficace, le plus propre et le plus rentable d’électrifier le monde est de mettre en place une capacité d’énergie renouvelable et d’exploiter l’énergie du vent, du soleil et de l’eau que la nature fournit en réserves illimitées. En conséquence, nous estimons que la capacité mondiale d’énergie renouvelable augmentera d’au moins dix fois jusqu’en 2050.

Défis : surmonter la complexité et étendre les réseaux mondiaux  

L’électrification, alimentée par cette forte augmentation de la production variable d’énergie renouvelable, présente une foule de nouveaux défis dont les deux suivants me semblent les plus marquants : composer avec la complexité découlant d’un plus grand nombre de sites de production d’énergie largement répartis et moins prévisibles, et la nécessité d’améliorer et d’étendre considérablement la capacité du réseau afin de répondre à la croissance rapide de la demande.  

Afin de pouvoir gérer la fluctuation de la production d’électricité et les nouveaux modes de consommation, notre système énergétique doit devenir plus souple et de nouveaux outils sont nécessaires pour y parvenir. Des composants de réseau innovants qui utilisent l’électronique de puissance apporteront la souplesse opérationnelle nécessaire pour faire croître l’efficacité des réseaux. Des capteurs fourniront l’information nécessaire et des solutions numériques traiteront l’énorme quantité de renseignements dans des centres de commande du réseau intelligent. Cela permettra de prendre des décisions plus rapidement dans un environnement beaucoup plus dynamique que ce que nous avons connu jusqu’à présent. 

Le deuxième défi, soit l’expansion de la capacité du réseau, peut être relevé de deux manières : en optimisant l’utilisation des réseaux actuels ainsi qu’en modernisant et en étendant les systèmes de puissance. Ici, nous pouvons compter sur des combinaisons intelligentes d’électronique de puissance et de technologies numériques pour optimiser les gains d’efficacité du cuivre et du fer des réseaux électriques actuels. Un exemple récent de cette situation peut être observé en Écosse, où une nouvelle liaison c.c. haute tension est ajoutée pour relier les îles Shetland au réseau de transport d’énergie électrique du Royaume-Uni. Cette liaison renforcera la sécurité de l’alimentation électrique et aidera au transport de l’énergie éolienne produite dans l’archipel, contribuant ainsi à l’objectif de décarbonisation du Royaume-Uni, qui consiste à ramener toutes les émissions de gaz à effet de serre à zéro d’ici 2050.

La capacité du réseau devra inclure plus du double de l’énergie électrique actuelle. Cela comprend l’expansion des réseaux à haute tension et des interconnexions entre les régions, pour relier au réseau les énergies renouvelables produites dans des endroits éloignés, comme les parcs éoliens situés à des kilomètres au large. Il est permis d’imaginer que dans le futur, nous pourrions même récolter l’énergie produite par les vents de l’Arctique.

Tous les secteurs du marché connaîtront une croissance importante sur le plan de l’électrification. La mobilité électronique, la conversion des procédés industriels et le chauffage sont des facteurs clés.

Du point de vue de la demande, cette énorme expansion engendrera une augmentation considérable de l’électrification dans les zones qui étaient considérées jusqu’à présent comme des régions à faible charge, loin des villes à forte densité de population où la demande est élevée. Par exemple, grâce à l’électrification, il sera plus facile d’installer un nombre croissant de centres de données dans des endroits isolés. Nous pouvons également nous attendre à voir davantage de sites industriels, comme des aciéries et des exploitations minières, se tourner vers l’électrification afin de s’éloigner des processus à intensité carbonique élevée, tout en augmentant leur efficacité.  

Au cours des trente prochaines années, il est probable que des réseaux électriques se développeront également dans des régions géographiques qui, jusqu’à présent, avaient rarement été prises en compte dans la planification de l’expansion d’un réseau.

Souplesse, stockage et rôle des sources d’énergie complémentaires

Le cheminement vers un système énergétique neutre en carbone reposera sur de futurs systèmes de puissance qui seront extrêmement souples. Il faudra composer avec une complexité accrue engendrée par le besoin d’intégrer l’énergie variable en vrac et distribuée, produite à partir de sources renouvelables.

Chaque fois que la souplesse du réseau devient un élément essentiel, la première solution technique, et la plus éprouvée, est l’expansion et l’interconnexion du réseau. Une fois cette limite atteinte, le stockage de l’énergie commence à jouer un rôle important sur la voie d’un système énergétique neutre en carbone. Le stockage de l’électricité dans des batteries a déjà accompli des progrès impressionnants au cours des dernières années. L’augmentation de la production variable d’énergie renouvelable s’accompagne d’un besoin accru en matière de stockage d’électricité à court terme afin d’assurer la fiabilité du système de puissance, La technologie des batteries est en passe de devenir la solution la plus utilisée pour répondre aux besoins à court terme. Elle offre la plus grande souplesse et le ratio coûts-avantages le plus intéressant.

Les tampons utilisés dans la filière énergétique actuelle pour traiter les variations de la production d’électricité sont principalement des sources d’énergie d’origine fossile comme le pétrole, le gaz et le charbon, plutôt que de l’énergie hydroélectrique renouvelable. Ces types d’éléments à forte intensité d’émissions du système énergétique devront être progressivement éliminés dans un monde neutre en carbone et prêt pour l’avenir.

Lorsque l’électrification directe n’est pas possible ou ne peut être réalisée, une alimentation en énergie complémentaire est nécessaire. Les études mettent en évidence le rôle de l’hydrogène en tant que technologie dont la mise en œuvre s’accélère. Lors de la planification des besoins de stockage saisonniers, l’exploitation du potentiel de l’hydrogène est probablement appelée à jouer un rôle important. Toutefois, pour que cela puisse être viable, cela doit être de l’hydrogène vert produit à partir de sources d’énergie renouvelables. 

L’hydrogène vert pourrait également faciliter la réduction de l’intensité en carbone des secteurs pour lesquels l’électrification directe présente des difficultés, par exemple certains éléments du secteur des transports (par exemple, les avions et les grands bâtiments maritimes). Cela nous ramène à l’essentiel de mon message, à savoir que l’électricité constitue l’épine dorsale de notre futur système énergétique, puisque l’hydrogène vert est produit au moyen de l’électricité.

Lors de la planification et de la conception du futur marché de l’énergie, il sera très important pour les décideurs de ne pas miser sur une seule approche. L’expansion et l’interconnexion des systèmes de puissance offrent la possibilité de relier instantanément les fuseaux horaires et même les zones climatiques. Néanmoins, le futur système énergétique aura besoin à la fois d’interconnexions et de stockage d’énergie. Il ne devrait jamais être question de choisir l’un ou l’autre, car ces éléments sont complémentaires.

Créer un climat optimal fondé sur la confiance et la collaboration, et propice aux investissements

Le temps presse pour la transition vers un système énergétique neutre en carbone. Plusieurs politiques et initiatives annoncées récemment et bien accueillies ont permis de fixer des objectifs ambitieux pour un avenir neutre en carbone. 

Cela comprend les mesures de relance et les objectifs visant à accélérer le « pacte vert » de l’Union européenne, mis en avant par plusieurs pays dont le Royaume-Uni, le Japon, la Chine et la Corée du Sud.

Bien que ces efforts soient louables, il est impératif d’accélérer les cycles de planification et d’exécution afin de débloquer les investissements nécessaires dans nos infrastructures énergétiques. Les décideurs politiques doivent établir un programme clair et faire en sorte que cet objectif soit atteint, ce qui comporte la mise en place du cadre réglementaire approprié et une certaine collaboration dans des domaines clés, notamment les codes de réseau et les mécanismes du marché. Le domaine des réseaux électriques interconnectés devient également de plus en plus important afin de maximiser la pénétration des énergies renouvelables. La collaboration sera manifestement un facteur clé de succès.

Nous sommes en voie de résoudre un problème de société fondamental, soit offrir à tous une énergie abordable, fiable et durable.

Qu’il s’agisse des vents de l’Arctique qui alimentent des véhicules électriques ou de l’énergie solaire récoltée dans le désert qui alimente des systèmes de climatisation, un système énergétique neutre en carbone refaçonnera le monde. Le défi est si grand que l’heure n’est pas aux choix; toutes les solutions durables, actuelles et futures sont nécessaires. Nous ne devrions pas perdre temps et énergie à tenter de déterminer la meilleure option, mais plutôt nous concentrer sur l’établissement de partenariats durables, car ce n’est qu’ainsi que nous pourrons accélérer les choses et obtenir des résultats.

La mise sur pied d’un système énergétique mondial, interconnecté et véritablement durable pour les générations actuelles et futures, grâce à des technologies fascinantes, apportera une valeur exceptionnelle aux sociétés durables. C’est ce qui me rend fier et enthousiaste de participer à la concrétisation d’une telle vision.