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Souplesse et résilience : nos atouts en ces temps extraordinaires
La pandémie de la COVID-19 est le perturbateur suprême qui bouleverse tous les aspects de la vie telle que nous la connaissons. Jochen Kreusel, directeur, Innovation de marché, Hitachi ABB Réseaux électriques, explore les répercussions de cette pandémie sur l’avenir des réseaux électriques.
Ce qu’une pandémie nous apprend sur l’avenir des réseaux électriques
Au cours des deux dernières décennies, l’économie mondiale a subi les effets de disruption provoqués par des entreprises en démarrage agiles, capables de transformer toute une industrie. Toutefois en 2020, nous avons tous assisté à l’arrivée de l’élément perturbateur par excellence, la COVID-19, une pandémie qui a changé en quelques mois tous les aspects de la vie sociale, culturelle et économique.
Les réseaux électriques n’ont pas échappé à ces perturbations. Les changements spectaculaires des comportements humains ont provoqué d’énormes fluctuations de la demande d’énergie, ce qui a surpris les entreprises du secteur et accéléré de cinq, voire de dix ans l’évolution de cette industrie. Alors, qu’avons-nous appris et quelles sont les répercussions de la COVID-19 sur l’avenir des réseaux électriques?
Une demande plus faible ne se traduit pas nécessairement en une exploitation plus facile
La première et la plus évidente conséquence du confinement a été une baisse de la demande d’électricité. La figure 1 illustre la situation dans certains pays à la mi-avril 2020, alors que des baisses de la demande allant jusqu’à 30 % ont été observées dans les grandes économies comme celles de la France et de l’Italie. Une baisse de l’ordre de 30 % peut sembler alléger la charge d’un réseau électrique, mais en réalité, une telle fluctuation représente un défi opérationnel majeur. Les réseaux d’alimentation en électricité ont continué à fonctionner grâce aux nombreuses interventions des exploitants, ce qui nous a démontré qu’ils pouvaient être stabilisés dans des situations hors de l’ordinaire, mais au prix de nombreuses interventions manuelles.
Toutefois, en Inde, la situation était encore plus dramatique. Le 5 avril, le premier ministre Modi a demandé aux citoyens d’éteindre les lumières pendant neuf minutes en signe de solidarité par rapport à cette crise. Avec un préavis de 48 heures seulement, les exploitants de réseau ont dû relever un défi monumental : la hausse soudaine de la demande lorsque 1,3 milliard d’habitants ont rallumé les lumières d’un seul coup. Fait remarquable, grâce à une préparation minutieuse des gestionnaires de réseaux de transport, les installations ont tenu le coup malgré une baisse et une hausse brusques de la demande (de 117 GW à 85,30 GW) en seulement quatre minutes. Cette fois encore, les responsables ont pu gérer cette situation extraordinaire, mais seulement parce qu’ils avaient eu assez de temps pour exécuter manuellement des opérations.
Aucune limite technique à une croissance accrue des énergies renouvelables
La crise de la COVID-19 a permis aux administrateurs de réseaux de se rendre compte qu’à l’avenir, ils pourront exploiter des systèmes d’alimentation électrique transportant une plus grande proportion d’énergie renouvelable, et ce, de manière stable et sûre. Cette constatation a été faite dans certains des pays les plus touchés par le virus qui sont également des pionniers en matière d’énergie solaire et éolienne. La baisse de la demande, combinée à une hausse continue de la capacité de production d’énergie renouvelable, a permis, par exemple, à l’Allemagne, d’atteindre une proportion variable des énergies renouvelables de près de 55 % au cours du premier trimestre de 2020 [1]. La troisième semaine de mai 2020, la proportion moyenne a dépassé 69 %, contre seulement 50 % un an auparavant (fig. 2). La figure 3 montre la proportion maximale de la production variable d’énergie renouvelable dans la production de plusieurs pays européens. Partout, la proportion d’énergie renouvelable est nettement plus élevée sur l’année dans son ensemble. De toute évidence, les réseaux pourraient fonctionner de manière stable avec des proportions aussi élevées d’énergies renouvelables, mais les experts doivent maintenant analyser en détail les leçons à tirer de cette expérience imprévue, qui donne un aperçu de ce que sera l’avenir dans cinq à dix ans.
Il faudra faire appel à la coopération internationale pour l’alimentation de secours
Si la crise nous a montré quelque chose, c’est bien la vulnérabilité d’une économie mondialisée, dépendante des chaînes d’approvisionnement mondiales. Or, même si la mondialisation des réseaux d’alimentation n’est pas très avancée, les électrons ont continué à circuler pendant la crise, malgré la fermeture des frontières par les gouvernements. Toutefois, nous savons qu’à l’avenir, les systèmes électriques qui utilisent des proportions importantes d’énergie renouvelables distribuées et fortement concentrées dépendront encore plus de la coopération internationale. Une crise comme celle de la COVID-19 pourrait alors sérieusement perturber l’approvisionnement en électricité d’une région. La sécurité de l’approvisionnement nécessitera donc une coopération et un engagement internationaux beaucoup plus importants. Il faut favoriser dès maintenant la collaboration et le partage des responsabilités.
COVID-19, la leçon suprême : la souplesse et la résilience sont les clés de l’avenir
À la lumière de ce que nous avons appris au cours des dernières semaines et des derniers mois, il est évident que le secteur des réseaux électriques devra se doter de deux atouts essentiels dans le développement futur des réseaux : la souplesse et la résilience.
En ce qui concerne la souplesse, la COVID-19 a montré que les concepts de sécurité classiques, comme le cloisonnement des centres, étaient mal adaptés aux circonstances de la pandémie. La souplesse permettant aux exploitants de travailler à partir d’autres emplacements, comme ceux d’autres exploitants de réseau ou de fournisseurs de logiciel, ou même à partir de la maison, constitue un avantage qui doit être évalué. Bien sûr, cela nécessitera une planification minutieuse, particulièrement en ce qui concerne la cybersécurité, mais l’investissement sera très certainement rentable.
Cette souplesse devrait nous permettre de réagir plus rapidement à des situations imprévues. Comme nous l’avons vu en Inde le 5 avril, il a fallu mettre en place manuellement les mesures essentielles pour renforcer le réseau. Toutefois, à l’avenir, la technologie devrait nous aider davantage dans de telles situations. Les réseaux autonomes devraient mettre en œuvre des solutions automatisées et au minimum, contribuer à la prise de décision.
Le besoin de résilience, notre deuxième carte maîtresse, est démontré par la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales durant la crise du coronavirus. Évidemment, les réseaux électriques sont eux aussi tributaires des chaînes d’approvisionnement mondiales, mais contrairement à d’autres industries, des politiques nationales permettent d’atténuer le risque d’interruption de l’énergie fournie par les réserves locales. Des pays stockaient à l’avance du gaz, du pétrole ou du charbon pour des semaines ou des mois, et ces sources d’énergie ont été converties en électricité localement. Toutefois, compte tenu de la dépendance croissante à l’égard des sources d’énergies renouvelables géographiquement concentrées, ce concept doit être repensé. Les réseaux électriques de l’avenir seront plus interconnectés et seront exploités plus près de leurs limites, et deviendront de ce fait plus vulnérables. En outre, puisqu’il est impossible de stocker le vent et le rayonnement solaire ou d’emmagasiner l’électricité en plus grande quantité, de nouveaux concepts devront être mis au point.
La résilience, c’est-à-dire la capacité de surmonter des situations critiques au lieu de tout faire pour les éviter, jouera donc un rôle plus important. Cette constatation est particulièrement vraie dès que les systèmes deviennent plus complexes et potentiellement vulnérables en raison d’un nombre accru d’interconnexions. À l’avenir, les systèmes de plus en plus numérisés dépendront encore plus des infrastructures de communication. Leur résilience permettra alors d’assurer la poursuite de leur fonctionnement de base, même si les infrastructures sont hors service.
Encore plus important, comme le montre la figure 4, les réseaux électriques devraient pouvoir fonctionner en mode de secours utilisant les sources disponibles localement, si le réseau de transmission est hors service. Même si la capacité de production locale est insuffisante pour répondre entièrement à la demande locale, il faut alimenter au moins les infrastructures essentielles, comme les systèmes d’aqueduc, les hôpitaux et les réseaux de télécommunications.
En résumé, si la pandémie de la COVID-19 nous a appris quelque chose, c’est que nous disposons dans le monde entier de remarquables réseaux électriques, qui sont gérés par des personnes talentueuses et qui ont tenu le coup dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Toutefois, à l’avenir, des systèmes qui sont davantage fondés sur les énergies renouvelables et sur la coopération internationale exigeront encore plus de souplesse et de résilience. Ce sont ces deux atouts qui nous permettront de fournir une énergie abordable, fiable et durable, à condition d’agir dès maintenant pour qu’elles deviennent une réalité. C’est un défi que j’attends avec impatience.
Références
2] Graphiques de l’énergie, Fraunhofer ISE :(https://www.energy-charts.de/index_de.htm)