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Le NordLink, l'un des interconnecteurs les plus puissants du monde : un aperçu du futur système énergétique neutre en carbone
Pour assurer la transition énergétique, il faut réaliser des exploits révolutionnaires en matière de génie électrique. L'interconnecteur NordLink de 1 400 MW, qui vient d'être inauguré et qui unit la Norvège et l'Allemagne pour la première fois, est l'une de ces réalisations célébrant un partenariat entre exploitants de réseau de transport d’électricité vieux de plusieurs décennies et qui souligne la nécessité de coopérer au-delà des frontières pour assurer la transition énergétique. L'Union européenne (UE) ayant comme objectif de faire passer la capacité d'interconnexion transfrontalière à 15 % de la demande de pointe d'ici 2030, le continent a besoin d'investissements majeurs dans des projets d'interconnecteurs. C’est pourquoi le NordLink, un interconnecteur VSC et un interconnecteur électrique CCHT d’une puissance inégalée dans le monde, se retrouve en tête de peloton comme solution à un défi technique sans précédent dont beaucoup de gens peuvent s'inspirer.
Nous avons invité deux des éminents responsables de la livraison de l'interconnecteur NordLink, qui fait 623 kilomètres de long, à partager leurs expériences liées à la réalisation de ce projet avant-gardiste et à exposer leur vision du futur réseau électrique européen neutre en carbone. Tim Meyerjürgens, directeur de l'exploitation de l’exploitant de réseau de transport d’électricité germano-néerlandais TenneT, rappelle la complexité du projet et précise à ce sujet que la pose du câble sur un banc de sable de la mer des Wadden a dû être effectuée en fonction de la position de la lune, et Håkon Borgen, vice-président exécutif responsable de la technologie et du développement de l’exploitant de réseau de transport d’électricité norvégien Statnett, explique pourquoi la construction du câble NordLink représentait un acte de foi quant à la transition énergétique et que cela a déjà porté fruit.
Q : Comment le NordLink a-t-il vu le jour ?
Håkon Borgen (H.B.), Statnett : Je dois dire que ce fut un long périple.
We started thinking about connecting Norway and Germany as many as 25 years ago. The idea was really driven by the fact that we have a lot of renewable hydropower in Norway, whereas in countries like Germany there was mainly thermal power.
L'approvisionnement en énergie hydroélectrique de la Norvège est extrêmement flexible, mais nous avons aussi des années peu pluvieuses lors desquelles nous devons importer de l'électricité. Le premier concept d'interconnecteur vers l'Allemagne s'appelait le câble Viking et nous avons fini par utiliser une grande partie des détails techniques établis à cette époque pour le NordLink.
Tim Meyerjürgens (T.M.), TenneT : En 1998, il y a eu un changement de la réglementation européenne avec la libéralisation des marchés de l'énergie. À cette époque, le projet d'interconnecteur n'était plus vraiment attrayant, car l’avantage socio-économique était remis en question.
H.B. : Cependant, de concert avec TenneT, nous avons tout de même démontré que la technologie fonctionne lorsque nous avons conçu le projet d'interconnecteur entre la Norvège et les Pays-Bas. Lorsque le NorNed a été mis en service en 2008, il s'agissait du plus long interconnecteur au monde. Cela a changé la donne étant donné que nous avons démontré qu'il était possible de connecter des systèmes électriques sur de longues distances.
Puis nous avons examiné la possibilité de construire encore plus d'interconnecteurs dont le point de départ serait la Norvège. Nous [Statnett] avons discuté avec TenneT pour relancer nos anciens projets et c'est ainsi que le NordLink a vu le jour. TenneT et la KfW sont nos partenaires dans ce projet. Nous avons pris cette décision conjointement, car nous savions que le NorNed fonctionnait. Par la suite, le quatrième câble entre la Norvège et le Danemark a été mis en service en 2014 et il misait pour la première fois sur la technologie VSC de 525 kV.
Les ministères allemand et norvégien ont ensuite harmonisé le processus d'attribution des licences, ce qui nous a permis de prendre une décision finale relative à l’investissement en 2015.
Q : Quelle importance a eu le partenariat TenneT-Statnett pour le projet NordLink ?
T.M. : La clé de ces projets est d'avoir une seule équipe de projet. Pour nous, sans compter Statnett et TenneT, nos fournisseurs Hitachi ABB Réseaux électriques, Nexans et NKT faisaient aussi partie de l’équipe. Vous ne pouvez réussir que si vous réalisez le projet en tant qu'équipe unie. Si vous commencez à vous disputer pendant que vous réalisez des projets de ce genre, vous allez vous égarer.
H.B. : Au début, nous avons travaillé à établir une culture de travail pour les projets avec beaucoup de professionnalisme. Nous avons passé beaucoup de temps à créer une « culture de l'équipe unique » et nous en avions besoin, car nous avons fait face à des défis que nous avons dû résoudre ensemble. Nous ne pouvions pas prendre une décision en Norvège et apprendre ensuite que l'Allemagne n'était pas d'accord. Nous avions besoin de prendre des décisions de manière conjointe et cela a très bien fonctionné.
Je me souviens que le conseil d'administration de Statnett m'avait interrogé sur les risques liés à la construction du câble NordLink dans la mer des Wadden. Je leur avais répondu ceci : « Eh bien, nous avons un partenaire de premier plan. » Sans TenneT à bord, je ne pense pas qu'il aurait été facile pour nous de réaliser ce projet. Il est juste de dire qu'avec TenneT, nous avons amené la technologie à un niveau supérieur, puisqu’ensemble, nous avons été les premiers au monde à faire passer le niveau de tension du convertisseur dans un interconnecteur à 525 kV.
Nous avons également fait appel à la KfW, notre partenaire, car lorsque vous vous engagez à faire des investissements aussi importants, vous avez besoin de partenaires aux assises solides. Grâce à son appui, nous disposions du financement et de la capacité de construction nécessaires.
Q : Quels ont été les principaux défis que vous avez relevés durant la mise au point du NordLink?
The size of the project in itself was one of the challenges. It's currently the longest interconnector cable in the world and that also meant we had a lot of different environments to work in.
Nous avons dû forer à travers les montagnes du côté norvégien, puis nous sommes allés dans des eaux dont la profondeur pouvait atteindre 400 mètres, puis dans la mer des Wadden, qui est d'une part très sensible et a nécessité des équipements et des procédures avant-gardistes et écologiques, mais qui comporte également un banc de sable si peu profond que les équipements normaux ne peuvent pas le traverser. Même avec un équipement spécial, nous ne pouvions passer qu'une fois par mois, lorsque la lune était dans la bonne position et que la marée était un peu plus haute que d'habitude.
De plus, le câble est si long que nous avons dû faire appel à deux fabricants différents, car cela aurait représenté trop de travail pour une seule usine en raison de la quantité de câbles requise. Cela a créé un autre risque technique, car nous avons dû connecter deux câbles différents.
H.B. : Finalement, nous n'avons pas eu de problèmes dans la mer des Wadden, mais sur le continent, en Allemagne. Les autorités allemandes responsables de l’attribution des licences ont fait face à de nombreux problèmes liés aux projets éoliens, ce qui a eu des répercussions sur la perception des gens au sujet du NordLink. Nous avons dû fournir des spécifications très détaillées sur l’acheminement du câble et, par conséquent, nous avons dû prolonger le calendrier d'environ neuf mois. Mais pour le reste, nous avons réussi à garder le projet dans les limites du budget et du temps impartis, et ce fut une grande réussite.
Il ne faut pas sous-estimer le haut niveau d'assurance qualité que nous avons mis en œuvre pour le projet. Pouvez-vous imaginer poser un câble de 525 kV sous la mer? Ce n'est pas du gaz, c'est de l'électricité. Nous avons surveillé chaque mètre du processus d’installation, ce qui signifie que nous avions parfois entre 10 et 20 navires en mer, et nous avons aussi géré le processus de fabrication dans son intégralité. Tout cela, nous l'avons appris de nos expériences précédentes.
Un autre défi pour Statnett était de mettre au point en même temps l'interconnecteur vers le Royaume-Uni, le North Sea Link. La longueur totale des câbles du NordLink et du North Sea Link est de 1 400 kilomètres, ce qui représente environ la moitié de la capacité mondiale de production de câbles. Nous avons dû gérer cela de manière très soignée, mais nous avons obtenu l'assentiment de tous les fournisseurs, et tant Nexans que NKT ont parfaitement respecté l’échéancier de livraison.
L'importance que nous accordons à la SSE a joué un rôle important dans le projet et doit être citée comme l’un des principaux facteurs de réussite de la phase de construction. Il était évident que la SSE constituait une préoccupation de toutes les parties concernées durant l’ensemble du projet.
T.M. : Statnett n'était pas seule à mener des projets en parallèle, nous le faisions aussi. Nous posions les connexions éoliennes extracôtières en Allemagne et avions besoin d'environ 12 câbles de 100 à 200 kilomètres de long chacun. Cela signifie que nous mobilisions presque l'autre moitié de la capacité de production mondiale pour être en mesure de livrer aussi les connexions en mer à temps.
Q : Comment l'interconnecteur performe-t-il aujourd'hui ?
H.B. : Nous avons terminé les opérations d'essai le 31 mars, et cela s'est bien passé. La disponibilité de l'énergie était supérieure à celle prévue selon la valeur contractuelle et c'est pourquoi nous avons pris le relais. À cet égard, c'est une réussite et nous n'avons pas eu de problèmes majeurs.
Nous avons cependant eu des problèmes pendant la mise en service et la liaison s'est déclenchée. Un déclenchement à 1 400 MW a eu des répercussions sur les systèmes de puissance tant du côté nordique que du côté continental. Nous avons apporté des modifications au système de commande et maintenant il fonctionne bien.
Lors de la phase de conception, nous avons pris la très sage décision d'ajouter des disjoncteurs à courant continu rapides. Ceux-ci sont installés pour absorber la moitié du pôle si nous avons un problème dans un seul des convertisseurs. Cela garantit que nous ne perdons que la moitié de la capacité en cas de panne.
Our investments in interconnectors are all driven by the fact that they bring value to the society because of the trade between our hydropower and the growing amounts of renenwable power in continental Europe. The European energy system has shifted over the past 20 years from being a thermal power system to a green one.
T.M. : Lorsque nous avons pris la décision finale relative à l'investissement en 2015, le NordLink était encore un pari, car les énergies renouvelables avaient déjà de l’importance, mais pas du même point de vue qu'aujourd'hui. Elles sont désormais inscrites à l’agenda des politiciens, la transition énergétique s'étant accélérée ces dernières années. De nos jours, ce genre de considération est plus importante que jamais. Nous sommes heureux d'avoir pris la décision d'investir avant même que la transition énergétique n'ait réellement débuté.
H.B. : Nous avons dû miser sur l'avenir des énergies renouvelables et sur le prix du CO2. En 2015, nous pensions que le prix de ce gaz allait augmenter et c'est le cas à l’heure actuelle. Dans le futur, l'argument commercial sera encore plus fort, car nous aurons peut-être dix fois plus d'énergie éolienne et solaire en Europe continentale que la Norvège pourrait en utiliser pour réguler son énergie hydroélectrique. Il s'agira d'une énorme transformation de l'ensemble du système énergétique européen et il est bon de pouvoir dire que le NordLink est fait sur mesure pour un tel scénario.
Cela dit, il est important que la disponibilité d’énergie assurée par la liaison soit élevée et que ces avantages puissent être tirés de la technologie.
Q : Que réserve l'avenir au partenariat Statnett-TenneT?
T.M. : Nous [TenneT] mettons toutes les connaissances et l'expérience acquises au service de la transition énergétique allemande et néerlandaise. Nous avons choisi le courant de 525 kV pris en charge par le NordLink pour les grands corridors terrestres que nous construisons du nord de l'Allemagne vers le sud. Nous avons aussi opté pour un courant de 525 kV pour la prochaine génération de connexions éoliennes extracôtières. La mer du Nord sera la centrale électrique du nord-ouest de l'Europe et nous avons besoin de ses éoliennes extracôtières pour répondre à notre demande d'énergie.
Nous sommes en train de construire des connexions « prêtes pour une plateforme centrale » (nous les appelons comme cela). Pour les parcs éoliens extracôtiers d’une capacité de 2 GW que nous nous apprêtons à raccorder, nous laissons de l'espace sur les plateformes pour pouvoir y intégrer les futurs disjoncteurs à courant continu. Cela nous permet d'éviter de faire des investissements qui ne seront pas viables dans le futur.
Pour assurer la transition énergétique européenne, nous ne pouvons pas attendre de faire nos investissements et nous travaillons avec d'autres exploitants de réseau de transport d’électricité et nos fournisseurs sur la normalisation technique. Nous réalisons actuellement un programme de coopération technologique ouvert à tous les fournisseurs CCHT potentiels pour notre projet de connexion de parcs éoliens extracôtiers d’une capacité de 2 GW. Nous voulons normaliser ces plateformes afin que le choix du fournisseur n'ait pas d'importance. L'interopérabilité est la prochaine étape.
H.B. : L'ampleur de la nouvelle production en mer aura des répercussions sur l'ensemble du système énergétique européen, y compris la Norvège. Nous estimons que l’implantation de réseaux maillés au large des côtes représente un grand défi à relever pour connecter toutes ces éoliennes au réseau terrestre européen. Dans le futur, il sera difficile d’investir si nous ne réglons pas la question de l'interopérabilité, si nous n’arrivons pas à la gérer afin de réduire les risques. Ce que nous voulons éviter, c'est que chaque exploitant choisisse sa propre tension et sa propre conception, car cela fera obstacle à une connectivité viable. Nous devons collaborer étroitement pour que cela fonctionne. Statnett et TenneT y travaillent ensemble et elles le font aussi de façon plus générale au sein des comités du ENTSO-E. Il ne fait aucun doute que le temps presse, car le réseau extracôtier européen sera créé.
T.M. : Le seul moyen d’y arriver, c’est de travailler tous ensemble. La transition énergétique est un défi énorme pour nous tous, que nous ne pourrons pas relever en travaillant chacun de son côté et ce n'est pas non plus une compétition.
Q : À quoi ressemblera le futur réseau extracôtier?
H.B. : Le NordLink nous indique à quoi ressemblera le futur, car il est probable qu'il y aura un nombre croissant de ces grands composants connectés au réseau CA. Nous devons mieux comprendre comment gérer ce système et la stratégie de réserve.
Dans le futur, nous assisterons à la fusion des réseaux terrestres et extracôtiers. Chez Statnett, nous pensons qu'il est important de voir le réseau de façon holistique, au lieu de se limiter à la jonction terre-mer, afin d'évaluer le renforcement du réseau dans son ensemble. Pour les dix prochaines années, nous devons avoir une vision globale du réseau afin de comprendre comment assurer au mieux la transition énergétique.
T.M. : La zone ENTSO-E a été conçue pour accueillir une capacité de puissance d'équilibrage de 3 000 MW afin de pouvoir compenser la perte de deux centrales nucléaires de 1 500 MW à un endroit donné en même temps. Mais dans le cadre de nos plus récents projets, nous utilisons des unités plus grandes que les centrales nucléaires. Nos nouvelles liaisons terrestres et extracôtières auront une capacité de 2 000 MW chacune. Nous devons tenir compte de ces caractéristiques et trouver des moyens de maintenir la stabilité du réseau en cas d'imprévu.
Un autre défi lié à la collaboration réside dans le fait que nous utilisons encore des modèles de marché différents variant d’un pays à l’autre. Un parc éolien extracôtier, par exemple, est très difficile à raccorder à un interconnecteur, car les gouvernements hésitent quant aux subventions qu’ils accorderont à des projets de parcs éoliens, de sorte que certains pays bénéficiaires profiteront d’avantages non souhaités. Ce sont toutes des questions qui peuvent être résolues, mais il faut du temps pour harmoniser les modèles de marché.
Q : Où s’en va la transition énergétique?
T.M. : Nous sommes en train de transformer l'ensemble du système énergétique européen en passant de l'énergie thermique aux énergies renouvelables, ce qui engendre des défis complètement nouveaux ainsi que des besoins différents pour le réseau.
There's no doubt that the electricity grid is the backbone of the energy transition and without it we will not be successful.
Si nous ne réussissons pas en tant qu'exploitants de réseau de transport d’électricité, l'Europe, quant à elle, ne réussira pas sa transition énergétique. Pour moi, c'est vraiment essentiel et c'est la raison pour laquelle je travaille dans ce secteur. Nous sommes confrontés à un très grand défi et ce que j'aime chaque jour dans mon travail, c'est qu’on peut vraiment influencer les choses dans le but d’obtenir les meilleurs résultats possibles.
Une chose que l'on oublie souvent, c’est que nous, dans le secteur de l'électricité, sommes assez avancés dans la transition énergétique étant donné que nous y travaillons déjà depuis 20 ans et que nous atteignons nos objectifs. Mais aujourd'hui, nous constatons aussi que d'autres secteurs accélèrent leur décarbonisation. Les industries chimique et sidérurgique, en particulier, ont opté pour l'électrification. Cela signifie que notre consommation d'électricité va facilement doubler au cours des prochaines années. C'est notre prochain défi, mais nous travaillons déjà à trouver des solutions avec nos partenaires.
H.B. : En soi, il n'est pas difficile de construire un système d'énergie renouvelable, mais ce qui est vraiment difficile, c'est de le rendre suffisamment sécuritaire pour les clients en Europe. Il s'agit d’un énorme défi consistant à gérer le caractère intermittent des énergies renouvelables. Nous devons travailler ensemble, car les problèmes à régler sont trop importants, nous ne pouvons plus les résoudre seuls. Il faut coopérer et innover pour rendre ce futur système résilient. Atteindre le niveau zéro émission représente une tâche formidable et extrêmement motivante. C'est plus gros qu'atterrir sur la lune, c'est vraiment quelque chose de considérable.